Le plaisir et la force. Interview avec Alexandra Grimal

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Le plaisir et la force. Interview avec Alexandra Grimal.


Jazz Convention: Nous comptons déjà bien de nombres: avec Esperanza Spalding, Suzie Ibarra et, dans ton domaine-saxophone, Matana Roberts etc, la liste des jeunes musiciennes va croître…


Alexandra Grimal: Oui, il y a de plus en plus de femmes dans ce métier, et c’est une joie.



JC: Aprés tes études de saxophone classique, tu as étudié le jazz au Conservatoire Royal de La Haye avec un maitre très respecté: John Ruocco.


AG: John a été pour moi un maître. J’ai étudié pendant quatre ans avec lui. Il m’a permis de m’ouvrir dans la musique. Il m’a donné l’énergie de continuer. En l’écoutant jouer, je me suis rendue compte que la beauté était possible et réelle. Il a été pour moi une source, révélant semaines après semaines les infinies possibilités de la musique. C’est un artiste en recherche constante, humble et profond.



JC: Parlons du saxophone… (sa physique, sa technique, son feeling etc.)


AG: Le saxophone était pour moi l’instrument du jazz, le son de Coltrane au tout début. Il permet un jeu très virtuose et en même temps dépouillé. Une riche variété de timbres, une sensation de bois et de métal.



JC: Quant à ton style, on a parlé de monstres du passé et du présent comme Wayne Shorter, Mark Turner, etc.


AG: Je suis influencée par un très grand nombre de saxophonistes, mais aussi par d’autres instrumentistes ou chanteurs. J’ai besoin de me nourrir d’approches variées, en général de musiciens assez intenses, qui correspondent à ma façon de vivre et à ma vision de l’art. J’aime beaucoup Wayne Shorter, cela va sans dire, mais aussi Ornette Coleman, Steve Coleman, Tim Berne, Dexter Gordon, c’est avant tout un son qui me plait, puis la vision qui va avec. Mark Turner est lui aussi très impressionnant par sa concentration.



JC: Entre tes collaborations nous avons aussi John Betsch et Jean-Jacques Avenel: il s’agit des confrères d’un père d’un de tes instruments. Steve Lacy.


AG: J’ai eu le bonheur de jouer avec ces deux musiciens, ils sont en interaction constant l’un avec l’autre, c’est très particulier. J’aime beaucoup Steve Lacy, mais ce n’est pas mon influence principale au soprano, cela serait plutôt Shorter, et Miles, pour le coup… Mais j’ai beaucoup d’admiration pour son travail, toujours très inspirant et expressif.



JC: Quelle est ton attitude à propos de la classicité du jazz?


AG: J’aime l’histoire de cette musique, donc j’aime la jouer, cela dépends toutefois avec qui. Je suis musicalement née de cette histoire qui m’a toujours nourrie. Maintenant les influences sont multiples, notamment aussi grâce à la musique contemporaine. Je suis une musicienne du présent, donc mon travail s’inscrit dans un son de vie contemporain. Mais pour moi jouer des standards me fait réfléchir et sans cesse reconsidérer mon travail.



JC: Tu sembles très satisfaite et orgueilleuse de tes partenaires et tes ensembles.


AG: Mon quartet avec Nelson Veras, Dré Pallemaerts et Jozef Dumoulin joue mes toutes dernières compositions. Je suis très heureuse de ce groupe et nous sommes en train d’enregistrer. Mes projets en tant que sideman sont nombreux. J’aime jouer la musique des gens qui me touchent en parallèle au développement de mes propres projets.



JC: L’origine de tes ensemble est d’un coté de pertinence française, de l’autre scandinave. Voilà, l’avant-garde du nord revient…


AG: Je pense que la scène scandinave est très riche. J’ai rencontré beaucoup de musiciens incroyables là-bas. C’est peut-être le climat, la nature, le silence, les gens jouent différemment. J’aime beaucoup aller jouer là-bas, cela me donne envie d’écrire et de poursuivre ma recherche sur le son.



JC: Le jazz de l’hexagone a plusieurs générations de jazzmen (Grappelli, Solal, Humair, Texier, Sclavis jusqu’aux plus jeunes: Trotignon, Chassy, Truffaz etc…) Peut-on parler d’éléments francophones de votre jazz (ou, comme souvent, le genres et le généralisations ont peu de sens?)


AG: Chaque musicien véhicule des manières de penser différentes selon son pays d’origine. Des sensations, un quotidien, des goûts alimentaires! Toutefois, je crois plutôt en l’art universel. C’est à dire un artiste qu’on écoute sans penser au pays duquel il vient. Son langage ne se situe pas à un niveau culturel. Il “est”; il sublime la forme et s’adresse à l’Homme peu importe d’où il vient.



JC: T’as déjà rencontré des partners italiens (et t’as déjà fait des concerts ici): t’es intéressée à une activité chez nous?


AG: J’ai joué à plusieurs reprises en Italie, et je joue dans un quartet composé de musiciens italiens merveilleux, le contrebassiste sarde Manolo Cabras et le pianiste romain Giovanni di Domenico. J’ai joué avec d’autres sardes, tells que les pianistes Matteo Carrus, Augusto Pirodda, les batteurs Antonio Pisano, Carlo Sezzi et bien d’autres encore. Je me sens très proche de leur façon de jouer.



JC: À propos de tes plusieurs enregistrements, nous aimerons discuter de ton Shape.


AG: Shape est un un des groupes qui comptent beaucoup pour moi, composé à l’orgue Hammond de Antonin Rayon et d’Emmanuel Scarpa à la batterie. Le disque est un live au Sunset, et tout est improvisé. Ce sont trois voix qui se mêlent constamment, et une vision de l’improvisation de formes longues, comme si elles étaient écrites. C’est un disque dont je suis particulièrement heureuse et qui correspond à un travail commencé il y a de nombreuses années.



JC: Nous voici donc à la veille du nuoveau quartette avec Andromeda.


AG: Le disque présente une série de constellations et de personnages de la mythologie grecque, composées spécialement pour les interprètes Todd Neufeld à la guitare, Thomas Morgan à la contrebasse et Tyshawn Sorey à la batterie. Elles ont été écrites en résidence à la Mac Dowell Colony pendant l’hiver 2010-11 (Mac Dowell fellowship). Nous travaillons avec Todd et Thomas depuis deux ans, j’avais rencontré Thomas parce qu’il jouait avec Nelson Veras et Steve Coleman. Avec Todd, nous nous sommes rencontrés à Brooklyn, quand je vivais à New York pendant ces deux dernières années. J’ai très vite commencé à écrire pour lui.



JC: Tes projets futures?


AG: Je suis actuellement en train d’enregistrer Dragons, avec mon groupe Nelson Veras, Dré Pallemaerts et Jozef Dumoulin, mes compositions écrites pour eux. Le disque sortira dans 6 mois sur le label Aparté, distribution Harmonia Mundi. Mon disque Owls Talk est sorti début juin 2012 sur le même label Aparté. Je veux enregistrer aussi mon projet solo The monkey in the abstract garden, j’ai aussi un projet Black Dragon, dont on parlera bientôt.



JC: Bien sur, ton idée du jazz doit etre bien ample…


AG: Oui! Pour moi c’est très simple, la musique est une forme, je partage le fond avec les gens que j’aime, et ils peuvent provenir de jazz différents.



JC: Et donc, quoi à propos du métier de musicienne?


AG: Il me semble qu’il est comme celui des “musiciens”! Plein de risque et d’inconnu, et surtout de joies et de bonheurs qui valent tout ce travail. C’est un métier difficile mais si beau. Le travail est infini, et toujours remis en cause. Il faut avoir envie de chercher, et peut-être de trouver des choses que l’on ne s’attendait pas à trouver, mais qui sont encore plus surprenantes et belles que celles que l’on avait imaginé. C’est une liberté et une très grande force.